Le modèle du triangle dramatique de Karpman : Une grille d’analyse des dynamiques relationnelles

Conçu par le psychologue Stephen Karpman en 1968, le triangle dramatique met en évidence trois rôles typiques : la victime, le sauveur et le persécuteur. Ces rôles apparaissent fréquemment dans les relations d’aide, notamment dans le travail social et l’accompagnement des jeunes en difficulté. Cependant, cette dynamique, bien qu’initialement destinée à offrir du soutien, peut enfermer les jeunes dans des rôles limitants, nuisant ainsi à leur autonomie et à leur capacité à surmonter leurs propres défis.

Le triangle de Karpman dans l’action sociale : un cadre limitant

Dans de nombreuses structures éducatives ou d’accompagnement, le jeune est souvent cantonné au rôle de victime. Ses difficultés — qu’elles soient familiales, scolaires ou liées à la délinquance — le placent dans une position où il est perçu comme subissant des circonstances oppressantes ou un “destin” difficile à changer. Ce positionnement peut certes encourager l’empathie et la compréhension, mais il limite aussi le jeune en l’enfermant dans une posture passive et dépendante des structures d’aide pour progresser. Les éducateurs et travailleurs sociaux, quant à eux, occupent souvent le rôle de sauveurs. Animés par la volonté d’aider et de soutenir, ils interviennent régulièrement pour « réparer » ou « résoudre » les problèmes des jeunes, renforçant ainsi une dépendance mutuelle. Cependant, même lorsqu’elle est bien intentionnée, l’aide apportée par le sauveur peut poser problème, car elle contribue à renforcer la passivité de la victime et le sentiment d’incapacité du jeune à gérer ses propres difficultés. Enfin, les problématiques externes — telles que les tensions familiales, la délinquance, l’échec scolaire ou les pressions sociales — jouent souvent le rôle de persécuteurs. Ces éléments, perçus comme oppressants, renforcent l’idée que le jeune est constamment soumis à des forces qui le dépassent, sans possibilité de s’en libérer par lui-même.

La nécessité de rompre le cercle vicieux du triangle dramatique

Cette dynamique, où le jeune est constamment perçu comme une victime, pose un problème particulièrement préoccupant à long terme. Elle alimente un cycle de dépendance, empêchant de nombreux jeunes de surmonter leurs difficultés malgré l’accompagnement éducatif dont ils bénéficient. En restant enfermés dans ce rôle, ils manquent d’opportunités pour développer leur autonomie et leur pouvoir d’agir. Ils risquent ainsi de demeurer dépendants des structures d’aide sociale, voire de perdre confiance en leur propre capacité à agir et à évoluer.

L’enjeu consiste donc à repenser notre approche de l’accompagnement éducatif afin de rompre avec cette logique du triangle de Karpman. Plutôt que de maintenir le jeune dans un rôle de victime dépendante, il s’agit de le repositionner comme acteur de son propre parcours, capable de mobiliser des ressources personnelles et de prendre des décisions de manière autonome.

Une nouvelle pensée pour l’accompagnement : sortir du triangle dramatique

Repenser l’accompagnement éducatif, c’est d’abord changer le regard que l’on porte sur le jeune. Il ne s’agit plus de le considérer comme une victime, mais comme une personne capable de mobiliser ses propres ressources. Les structures d’accompagnement et les éducateurs devraient, dans cette perspective, se positionner davantage comme des facilitateurs que comme des sauveurs, en encourageant le jeune à explorer ses compétences, à affronter les défis et à s’affirmer dans des rôles positifs.

Par exemple, au lieu de chercher à résoudre à sa place les difficultés scolaires ou familiales du jeune, les éducateurs pourraient le guider vers l’autonomisation en l’aidant à identifier et à utiliser ses propres moyens pour avancer. Cela pourrait inclure des formations à la prise de décision, des ateliers de gestion des émotions, ou des espaces de dialogue où le jeune peut s’exprimer librement sur ses défis et ses aspirations.

Changer de posture pour une action sociale durable

Pour que l’accompagnement éducatif mène à un changement durable, il est crucial que le jeune ne soit plus seulement perçu comme une victime à aider, mais comme un acteur autonome. Cela nécessite de dépasser la dynamique du triangle de Karpman en adoptant une approche où chaque acteur est responsabilisé. Les éducateurs deviennent alors des partenaires de développement personnel plutôt que des sauveurs, et les jeunes apprennent à assumer un rôle actif face à leurs problématiques.

En intégrant cette approche, l’action sociale peut offrir aux jeunes non seulement un soutien immédiat, mais aussi les outils nécessaires pour devenir autonomes et résilients. Ce repositionnement dans le cadre de l’accompagnement éducatif est essentiel pour répondre efficacement aux défis actuels et permettre aux jeunes de s’émanciper des rôles qui les enferment. En somme, la clé réside dans la transformation du rôle des jeunes, afin de les voir comme des protagonistes actifs, capables de surmonter leurs propres difficultés.